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les récits d Heliette
28 juin 2005

Namaskaar ! Ceci est la première édition

Namaskaar !

Ceci est la première édition officielle du journal de voyage que j'ai appelé
: 'The Book of Indian Paths'. Pourquoi un titre anglais ? Ben, pourquoi pas
?

Pendant mes pérégrinations estivales vous n'aurez certainement pas
l'intégralité du journal en question. Ceux qui me connaissent bien savent
que j'écris au kilomètre et ceux qui ont voyagé avec moi (Laurent, Eli, oh
là, la liste est longue...) savent aussi que je passe chaque soir environ
deux heures à écrire. Les autres, imaginez : je me balade toute la journée
avec un petit carnet dans lequel je note les impressions, les anecdotes, les
détails qui me surprennent. C'est un aide-mémoire que j'épluche ensuite à la
lueur de ma lampe torche pour rendre dans le détail le déroulement de ma
journée. J'adore ce moment où tout le monde est endormi et que je suis la
seule à veiller, usant de l'encre et du papier avec un sourire aux lèvres.
C'est épuisant. Je rentre de voyage sur les rotules. Mes nuits de sommeil
sont courtes. Et pourtant, je suis incapable de me coucher sans avoir écrit.
Le résultat se trouve chez moi : carnets de voyage détaillés imprégnés du
quotidien d'un ailleurs, avec les photos autour du texte - de véritables
livres.

D'ailleurs si vous jetez un oeil dans le magazine ART SUD début juillet,
vous y verrez un tout petit bout de mon journal du Népal - six à huit pages
de photos et de textes. Pour certains d'entre vous les photos sont déjà
familières. En octobre ce sera la Turquie. (C'était ma page de pub -
n'empêche que si vous écrivez au magazine parce que vous avez trouvé ça
bien, mes carnets de voyages seront publiés dans leur intégralité !!!)

Vous n'allez donc pas avoir TOUS les détails une fois que je serai partie.
Ce seront des anecdotes, un chemin à suivre sur la carte de l'Inde, des
histoires de rencontres... de temps à autre, une fois par semaine j'espère.
Vous pourrez m'écrire évidemment, ça ne fait pas de mal un peu de lecture !
Et ça m'évitera peut-être le choc incrédule du retour de mon deuxième voyage
au Népal : quoi, dix mille morts en France à cause de la canicule ? Cela
sonnait comme une mauvaise blague.

En attendant, voilà le premier chapitre, celui qui parle du mûrissement d'un
projet... L'année scolaire n'étant pas finie, les membres du collège Rose
Valland (collègues mais surtout élèves qui participent au projet sur l'Inde)
sont priés de rester discrets !

Ah, bien sûr, avec ce premier vrai mail que vous recevez je vous donne un
ordre d'idée de ce que je suis capable d'écrire quand j'ai des choses à dire
! Parce que là, ce mail, il n'est que modérément long. Je plaisante : les
autres seront plus courts, j'aurai moins de temps.

Mes au revoir sont différents en fonction de ceux à qui je les adresse : il
y a ceux que je serre dans mes bras avec amour (ma p'tite soeur Manon, ma
tante Baby), avec une vraie sincère profonde amitié (par ordre alphabétique
pour éviter les jaloux : Elisabeth, Estelle, Laurent, Patrice) ; les amies
que je n'ai pas vues depuis longtemps à qui j'envoie une révérence de ma
casquette à Whoopy - un vieux code de fac, faut pas s'inquiéter, les
concernées se reconnaîtront - ; les amis à qui je fais de gros bisous
chaleureux ; et mes élèves à qui j'envoie une bise. Tenez-vous-le pour dit :
ces salutations valent pour chaque mail que vous recevrez !

Je vous laisse en compagnie de mon début de journal. Bonne lecture...

The Book of Indian Paths

"On dusty roads I walked
And over mountains high
Through rivers running deep
Beneath the endless sky
Beneath these jasmine flowers
Amidst these cypress trees
I give you now my books
And all their mysteries"
(Loreena McKennit)

Samedi 29 janvier

Depuis hier, mes deux pieds sont fermement ancrés en Europe mais mon esprit
vagabonde en Inde. Une poignée de rêves parfumée aux épices, des images du
Népal qui me reviennent, l'envie de marcher au soleil... et de rencontrer
mes filleuls tibétains, enfin, au bout de quatre ans. Me plonger dans leur
réalité quotidienne si éloignée de la mienne. Après tout, je ne me suis
jamais demandé, moi, quel stratagème utiliser pour empêcher les éléphants de
saccager un champ cultivé !

Je pars deux mois. Deux options se présentent : soit un itinéraire un peu
fou qui me mènerait de Mumbai (Bombay) à Bangalore, Delhi, Katmandou, le
Solu Khumbu, et retour... soit un voyage totalement différent pendant lequel
je passerais une quinzaine de jours avec mes filleuls et un mois et demi
avec une ONG. Me rendre utile est plus important que de simples
pérégrinations, mais il faut que je creuse la question.

J'épluche la carte de l'Inde, le prix des vols, des trains... le cours de la
roupie... Avant tout, renouveler mon passeport, faire la demande de visa et
de permis de séjour dans le camp de Rabgayling. Trouver une cat-sitter pour
deux mois. Ne pas commencer à compter les jours.

Les ONG se comptent par centaines en Inde. Après le tsunami de décembre
dernier, elles se sont organisées sans le moindre délai. La région du Tamil
Nadu a déploré 8000 morts. C'est combien, huit mille ? J'imagine une
allumette par personne. Il me faudrait 800 boîtes. Le chiffre soudain est
plus palpable. Alors les 150 000 victimes de toute l'Asie ? On nous a noyés
sous les décomptes, sous les adjectifs - macabre, blessés, morts,
terrible...- et on nous a anesthésiés. Le poids des mots - le poids des
maux. Des images insoutenables qui deviennent banales à force d'être
exploitées en défilé. Je veux voir et comprendre la souffrance pour en tirer
de la compassion. Faire que ce journal ne raconte pas une série d'anecdotes
mais une expérience humaine profondément enrichissante. Donc, certainement,
douloureuse.

Mue par une curiosité tardive, je me demande : tiens, quelle langue
parle-t-on dans le Karnataka ? Et à Mumbai ?

La mâchoire m'en tombe.

En Inde, on ne parle pas moins de 1600 (pardon : MILLE SIX CENTS !!!)
dialectes, dérivés de 18 langues principales. Le hindi n'est compris que par
30% de la population, l'anglais par 5%... Dans le Karnataka, la langue
officielle est le Kannada. Ce qui veut dire qu'on parle aussi, ne serait-ce
qu'à Mysore, le Urdu, le Telugu, le Tamil, le Marathi, le Malayalam, le
Tulu, le Konkani et le Kodava ! Hilare, je poursuis mes investigations et
tombe sur le joli morceau de broderie qu'est le Kannada (*curieux : cherchez
sur le net !). Supposons qu'on veuille féliciter quelqu'un, on se retrouve à
bafouiller : "hrudhayapurvaka shubhashayagalu". Heureusement que j'ai appris
à lire avec la méthode syllabique. Je me constitue un petit lexique de base
avec les incontournables salutations et phrases de présentation. C'est joli
à prononcer ; et à entendre, c'est une bouillie de syllabes parfaitement
indissociables et incompréhensibles ! Et y a des choses...ben... je vais pas
les dire tout de suite spontanément : "namaskara, neevu hegidheera ?
Chennaghidene dhanyavadagalu. Nimmanu bheti madi santoshavayitu".

Lundi 14 février

Pour la Saint Valentin, certains s'offrent le restaurant, d'autres des
bagues de fiançailles... Moi je m'offre Paris-Bombay en solo. Il a été
vaguement question de partir à deux, avec Greg, mais même le vague est
devenu utopique. Si pour certains partir à l'autre bout du monde avec un sac
à dos paraît des rêves les plus fous, pour moi c'est ne pas partir qui
l'aurait été. Par conséquent je retiens de mes deux options de voyage la
deuxième. S'il faut que mon chemin soit solitaire, rien ne m'empêchera
d'avancer.

Après une matinée épique à tenter de joindre la compagnie Yemenia, je note à
toute allure les coordonnées que le type me débite : 580 euros pour le vol
aller-retour. Quand le type raccroche, je reste un moment songeuse devant
mes hiéroglyphes...

Départ de Paris le 24 juin à 9h30 - arrivée à Bombay le 25 juin à 4h du
matin ! J'vais être fraîche !
Retour de Bombay le 28 août à 18h30, arrivée à Paris le 29 août à 9h30...
Escales à Sanaa, au Yémen.

Je récupère mon passeport tout neuf. Pour une fois, je n'ai pas l'air d'une
frappadingue illuminée sur la photo. J'ai une bonne vieille tête de
baroudeuse.

28 avril

Je viens de créer la liste India Trek.

J'ai tendu quelques perches à des ONG à intervalles réguliers et fini par
recevoir une réponse de Bombay Leprosy Project, une ONG locale qui s'occupe
des lépreux dans les bidonvilles. Je leur avais écrit un mail qui
jaillissait du coeur : I want to see humanity before defformity and never
stop to appearance. Ils m'ont répondu dans les jours qui ont suivi. Ils se
disent prêts à m'accueillir dans leurs structures de Bombay et des environs
pour que je puisse travailler avec leur équipe paramédicale et faire un
reportage. Bientôt, le vrai défi pour mes concepts d'occidentale privilégiée
: comprendre l'insoutenable.

4 mai

Ma demande de visa vient de partir, l'enveloppe chargée d'une pelletée de
timbres. Puisque c'est aussi la journée paperasses en tous genres, j'envoie
mon formulaire pour obtenir le Protective Area Permit délivré par le bureau
du Tibet pour autoriser les étrangers à séjourner dans les camps tibétains.

Et puis je cherche à connaître mes plus mortels ennemis, ma plus grande
appréhension en fait : ça n'a ni pattes ni poils, ça rampe et la seule image
d'un de ces reptiles suffisait, quand j'étais petite, à me faire faire des
cauchemars... Parmi les 150 espèces qu'on espère ne pas rencontrer dans le
Karnataka, il y en a "seulement"une quarantaine qui est venimeuse, et quatre
sont mortels. Charmant quatuor qu'il s'agit de reconnaître pour
s'administrer l'anti-venin en cas de morsure. Voyons voir... Il y a ce
galopin de bungarus caeruleus (*curieux : le net !) qui a un venin quatre
fois plus mortel que le cobra, et des goûts de luxe : il adore se lover dans
les habitations, sous les couvertures. Le cobra noir, qu'on ne présente
plus. La vipère de Russell qui a presque l'air sympa : on ne meurt que 45 à
60 minutes après la morsure. Et cette vipère à écailles toute moche avec de
petits yeux mesquins et criminels, Echis carinatus, qui vit dans les champs
- et pourvu qu'elle y reste !

Et puis il y a les flying snakes. Des reptiles vert vif qui grimpent aux
arbres et hop ! se jettent dans le vide. Sans ailes ni pattes, faut le
faire. Ils ne sont que modérément venimeux mais j'imagine, par une douce
promenade dans une forêt indienne, me prendre un serpent sur la tronche...!

A part ça, j'ai lu que les tigres affamés font des raids en ville. Bombay,
en s'agrandissant, a englobé leur territoire. Résultat : les félins vont
faire leur shopping dans les bidonvilles ! Plusieurs morts par mois quand le
gibier se faire rare. Me voilà avertie : un gros chat avec d'énormes crocs
en centre ville ou un serpent acariâtre dans la campagne - dans la rubrique
rencontres indésirables.

Samedi 14 mai

Ne pas compter les jours, me dis-je avec un calendrier sous le nez. Ce matin
je reçois mon passeport avec le visa indien, très multicolore et
passablement inimitable. Et quelle rapidité ! Dix jours ! Qui a prétendu que
le consulat indien cultivait intensivement le poil dans la main ? Et tout en
même temps, une lettre de mon Tenzin Palden, tout enthousiaste, qui m'attend
avec impatience. Il me promet de me servir de guide dans le camp, dans les
monastères et à Bylakuppe. Sa famille m'attend. Ils ont peur de m'accueillir
dans leur petite maison modeste avec leur "toilet system not very good" au
cas où je serais habituée aux conditions de luxe mais je les rassure sur ce
point : s'ils y vivent au quotidien je vois mal pourquoi je n'y vivrais pas
aussi.

Soudain l'impatience s'installe. Depuis quatre ans et demi, Tenzin Palden
m'écrit presque tous les mois pour me donner des nouvelles. J'ai eu beau lui
dire qu'il était optimiste de m'appeler sa maman française (il vient d'avoir
14 ans, j'aurais été anormalement précoce !!) il continue de me dire qu'il
est mon fils. Et il le pense. Les Tibétains sont ainsi : ils vous adoptent.
Je commence à le savoir, j'ai au Népal une maman de 89 ans (elle aussi
optimiste...), un p'tit frère Pouchoung, une soeur Sonam, un papa de 79 ans,
un frère jumeau puisqu'il a mon âge. (Tiens, maintenant que j'y pense, une
mama turque m'appelle aussi sa fille depuis quelque temps, avec ses 73 ans
bien sonnés.)

Je vais donc rencontrer mon fils. Les liens qui se sont tissés au cours de
cette correspondance avec lui sont étonnants. Je vais aussi rencontrer un
autre petit frère, Tenzin Sangpo, qui est moine dans un monastère.

Je me prévois un voyage contrasté : d'un côté cette misère à laquelle je
m'attends en sachant que toutes les idées préconcues du monde ne me
prépareront pas au choc d'y être confrontée ; de l'autre la rencontre avec
ma famille tibétaine. Deux extrêmes en quelque sorte. On parie que je suis
blindée contre tous les aspects les plus durs et que je ne verserai pas de
sanglots en arrivant ? On parie que je vais fondre en larmes et pleurer tout
un canal quand je vais vivre ce bonheur de voir mes deux filleuls ?

Je n'ouvrirai plus ce journal avant le jour de mon départ. Ou peut-être la
veille...


Héliette

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